RIEN NE VA PLUS (LIBRE)

il paraît qu'on respire en dehors du travail.
je respire jamais, jamais.
la vie a ses mains bien placées contre ma gorge et elles serrent, elles pèsent un peu trop fort. souvent, j'ai la tête qui tourne et je perd pieds face aux heures qui restent encore au compteur de l'horloge. les journées sont tellement longues que j'en crèverais probablement. pour se consoler, on sort le soir, pour essayer de faire défiler les minutes un peu plus rapidement. on se défonce la gueule à coup de shooters trop chers et de pilules facebook, smiley ou coeur emoji. entre les gens qui dansent, mon corps ondule au rythme d'une chanson que je n'connais pas et dont je ne me souviendrais probablement plus anyway demain matin. entre deux chansons, il faut se dépêcher et se frayer un chemin jusqu'à la ruelle pour inspirer la fumée qui sort des cigarettes qu'on se fume parfois back à back. une après l'autre, sans une seconde de répit. nos poumons crèvent déjà à cause du smog, pourquoi pas ajouter un nuage de plus à leur ciel ?
dehors, l'air de la nuit se refroidit et j'sens le boom boom incessant de la musique faire vibrer ma cage thoracique.
une mort lente.

- salope.. sale pute. on m'regarde bizarre dehors, j'crois que j'pense trop fort. au fond, qu'est-ce qu'ils en ont à foutre ? personne en a rien à foutre de ta gueule. ils attendent tous que tu chutes pour que ça puisse leur faire une place. c'est pareil partout, et comme un con, j'pensais qu'ça allait être différent, ici. j'me suis dis 'va en allemagne, mon grand, va rencontrer les p'tites maisonnettes et les blondes pâlottes, pète-toi le bide de leur choucroute'. mon cul, ouais. même à l'autre bout du monde, elle m'a retrouvé, c't'ordure, souha, qu'elle s'appelle. ce parasite de bout d'femme s'est invitée dans mon recommencement, elle avait pas l'droit, putain. rien que d'penser à son visage, là, tout d'suite, j'ai envie d'frapper les murs. ça fait deux jours déjà, deux jours qu'elle est là et que j'sens mon cœur qui s'calcine. alors j'me suis dis qu'j'allais sortir, faire le type sociable. j'voulais m'échapper un moment, comme précipiter les choses, j'ai même penser à m'amuser. mais comment s'amuser quand en face de toi, t'as une sale manipulatrice en manque d'attention qui t'fait les yeux doux comme ça, en t'suppliant d'la pardonner ? chaque meuf qui passe, j'vois souha. chaque visage souriant ou inquiet, j'y vois ses traits. j'sens mes paupières lourdes, l'monde tourne un peu trop. j'me souviens plus de c'que j'ai fais durant l'heure qui vient d'passer, j'me souviens juste que c'était parti d'une bonne intention, et qu'ça a dérapé. c'est toujours comme ça qu'ça s'passe, de toute. on s'perd. on s'perd parce qu'on en a besoin, on s'perd parce que c'est ce que les gens font lorsqu'ils ne sont pas bien. j'suis sorti du foyer, j'sais plus bien y'a combien de temps, et maintenant j'suis là. au beau milieu des places peuplées de pré-ados, des bars où la bière dégouline des murs, et des clubs au son un peu trop merdique, mais c'est commercial, alors ça passe. j'sais pas réellement c'que j'fous, j'me tiens juste là, clope entre les doigts, mais pas d'feu dans la poche. j'avance un peu, petite brune retournée là-bas. - file un feu. la minette se tourne, je la reconnais. c'est la gonzesse qui virevolte entre l'accueil et son p'tit bureau aux apparences de prestige. - bet ? bet ! énorme, t'es là ! tu sors, toi ? un sourire de p'tit con s'affiche sur mon visage, alors que mes pupilles se recroquevillent. j'me rends pas bien compte sur le coup, mais de c'que j'arrive à discerner de l'air que t'arbores sur ton visage, j'saurais pas dire si c'est d'l'ordre du bon, ou du mauvais.

y'a des groupes de gamins qui gueulent dans la rue. j'observe d'un oeil mauvais la jeunesse dorée qui sort la nuit, qui se fou des cours, du sommeil, qui crache à la gueule du soleil en se fumant des joints et en changeant leur sang en alcool. je les hais. je les envie. sentiments partagés qui brûlent un peu la gorge, alors je tourne la tête. j'regarde ailleurs, j'envoie la fumée d'ma meurtrière haut vers le ciel avec les étoiles qu'on n'arrive pas à voir en ville. les quelques fumeurs qui étaient dans la ruelle finissent par retourner dans le club à la file indienne. de bons chiens obéissants à la débauche. ma maigre épaule se pose contre le mur froid et mon corps frisonne. mes cheveux collent à mon baume à lèvres coloré d'un rouge coquelicot et certains se mêlent à mes cils habillés de mascara. la cigarette se consume trop rapidement et j'en coince une dans ma gueule de silencieuse avant de sortir mon briquet. au même moment, y'a cette voix qui m'demande un feu. j'me retourne, les sourcils froncés, le regard mauvais. emir. shit. j'allume ma cigarette avant de lui tendre le briquet et je tire bien fort pour aspirer un maximum de fumée cancérigène. - ouais... j'viens ici une fois de temps en temps. et toi ? avec sa gueule de p'tit con, j'suis mitigée entre le laisser tout seul là ou bien rester. si je pars, j'vais avoir l'air d'une sale coincée et il serait le genre à venir me taquiner avec ça. et clairement, j'ai pas envie qu'on me fasse chier au travail parce que je saurais pas retenir la colère. - ça... t'as pas trop crevé la journée de travail ? quand tu sais pas de quoi parler.