la bombe (emir)

elle a longtemps réfléchit. est-ce qu'elle doit vraiment faire ça ? est-ce que ça sert à quelque chose ? et pourquoi ça l'agace autant ? s'il l'ignore, c'est qu'il a rien compris. c'est à elle de faire ça. mais pourquoi s'attarder sur des détails ? pourquoi elle arrive pas à l'ignorer à son tour ?
elle râle. parce qu'elle aime pas ce qu'elle va faire.
elle râle. parce que c'est pas à elle de faire ça.
c'est pas à elle de courir après un mec, c'est l'inverse. et elle ignore. comme il le fait. et ça l'énerve, de paraître invisible quand elle passe devant lui.
elle inspire-expire. passe la porte battante de la cuisine.
elle le cherche du regard, elle cherche sa peau bronzé, son visage qu'elle connaît sans trop connaître. vaguement. assez pour savoir que c'est lui. pas assez pour le décrire.
ses yeux se posent sur la porte ouverte de la réserve, elle s'invite à l'intérieur, le cherche et le trouve rapidement.
elle se pose contre un mur, bras croisés.
salut.
elle lui sourit. elle est confiante. il a plus le choix.

les mains encore humides du boulot tout juste fini, tablier sale qui n'est plus blanc depuis bien longtemps autour de la taille. il doit être aux alentours d'une heure du matin, le ciel est trop sombre, trop brumeux, j'vois même plus les étoiles à travers toute cette crasse céleste et automnale. une clope industrielle entre deux doigts, mauvaise habitude, reprise depuis la sortie de prison. c'est la seule destruction que je m'autorise, ici. j'essaie d'rester propre, j'cherche pas la merde, c'est fini, tout ça. j'ai bien trop saigné et fait saigner pour voir ce liquide acre et rouge à nouveau. posé sur le rebord de la fenêtre carrée, j'expire la fumée opaque au travers de la nuit noire. j'entends un bruit vif, j'vois du blanc des yeux que la porte s'ouvre. ma gorge se serre un peu trop, comme si la brume de clope s'encastrait au creux de mes cordes vocales. qu'est-ce que tu fous là, romi ? t'as toujours été du genre parasite. ça s'voit, c'est placardé sur ton joli minois pur de façade, mais sournois, trop compliqué derrière le masque. - tu devrais dormir, romi. réponse presque automatique. fuis-moi, romi, avant que j'cède une seconde fois. j'tente de relativiser, d'me dire que ça devait bien arriver. avoir tenu quatre mois sans parler sérieusement, fallait déjà l'faire. ça sert plus à grand chose de courir pour rien, au fond, on est bloqués. - t'as besoin d'un truc ?

petite rire moqueur qui se fait entendre quand il prononce ses premiers mots. elle a l'impression de se faire rouspéter par sa mère, y a de ça des années. ça l'a fait rire autant que ça l'agace. il la prend sûrement pour une gamine. une gamine qu'il a sauté et qu'il a décidé d'oublier.
après tout, ce serait pas ça, le but du jeu ? coucher et ignorer le lendemain ? alors pourquoi elle déteste ça quand elle est de l'autre côté ? pourquoi elle aimerait tellement qu'il s'intéresse plus, qu'il revienne visiter ses draps une seconde fois. qu'il la prenne par la taille, la colle contre son corps, lui donne un peu de sa chaleur. pourquoi elle aimerait tout ça alors que c'est les règles qu'elle a elle-même imposé aux autres.
elle a l'impression de devenir folle. elle aimerait tellement qu'il craque, elle aimerait tellement rassurer ses charmes.
- pas vraiment. juste un peu de ta compagnie.
non elle n'a besoin de rien. juste de lui. parce qu'elle se sent seule et que son ignorance a finit par bouffer son sommeil. elle a juste besoin de se prouver les choses.
elle le rejoint sur l'appuie fenêtre, se pose face à lui, juste à quelques centimètres de son corps. elle le défi du regard, à qui cédera le premier, tout en lui volant sa clope au bec. ce ne sera sûrement pas elle. elle lui donne quelques minutes. elle inspire puis expire la fumée. elle l'aguiche du regard. elle veut qu'il craque, qu'il la touche. qu'il cède à l'appel, qu'il cesse de la fuir.
- tu m'évites ? 

j'tourne la tête, j'viens t'observer quelques secondes. on verrait presque un maigre sourire se dessiner doucement sur mon visage. tes cheveux sont tellement sombres, mes mains s'y perdraient encore et encore jusqu'à ce que des ténèbres elles en soient imprégnées. les traits de ton visages sont d'une douceur rare, presque encore enfantins. mais t'as rien d'une enfant. t'as quitté l'enfance il y a bien longtemps, pourtant, t'as à peine dix-huit ans. j'ai connu, ça, les p'tites princesses qui s'donnent de grands airs de reine plus mûre. ça sert pas à grand chose, au fond. elles s'en rendront toutes compte plus tard que la couronne qu'elles se sont elles-mêmes posées sur la tête est plus fragile que ce qu'elles croient. t'en fais partie, d'ces princesses-là, pas vrai, romi ? jamais tu t'l'avoueras. ton rire qui résonne, ton rire qui brise tout, qui fait écho dans l'cerveau. 'juste un peu de ta compagnie'. j'dévie une nouvelle fois le regard, viens m'perdre à nouveau dans la nuit. sans surprise, tu t'ramènes, tentes, plus, toujours plus. t'es là, à côté d'moi, m'arrache des doigts la seule chose à laquelle j'pouvais m'agripper pour pas flancher. mes yeux se plongent dans les tiens, des amandes, une couleur noisette divine. tu joues de tes longs cils, de tes pommettes rehaussées. les courbes du flan de ton corps, ton avant-bras, viennent m'effleurer le corps. j'en ressentirais presque des frissons, putain. quel faible j'fais. - j't'évite pas, romi. j'voudrais partir, j'voudrais dormir, ou du moins essayer. mais t'es là. t'es là, tu veux des réponses, j'le sais. mais tu sais, moi-même, j'saurais pas m'expliquer. t'as vraiment envie, que j'te claque mes névroses à la gueule ? que j'te dise que t'étais qu'une fille de passage, qu'une fille d'une nuit, mais qu'au final, j'regrette et j'pense de plus en plus à toi ? j'peux pas t'dire tout ça, romi. ça m'détruirait, et ça t'détruirait aussi. j'me recule, doucement, sans pour autant t'lâcher du regard, j'y arriverai pas. ma main droite vient attraper machinalement deux bières dans l'mini frigo en-dessous d'la table d'à côté. - tu veux ? ça va être une longue nuit, vaut mieux être préparés.