t'en as vu passer une belle collection. tous ces hommes qui sont venus remplacer ton père à tour de rôle. le pauvre, il est mort avant ta naissance, il se doutait pas de ce dans quoi il allait te laisser. y a d'abord eu l'espagnol, avec son teint halé et ses yeux bleus. puis le premier allemand, qui vous a forcées à quitter la corée du sud pour le monde européen. une autre culture dans laquelle t'as grandi, délaissant ainsi celle qui coule dans tes veines. y en a eu plusieurs d'allemands. t'as arrêté de compter au bout du quatrième. c'est celui qui t'as le plus marquée, à coup de poings sur ton visage.
tu te souviens des cris, des coups, des bruits de vaisselle cassée. tu te souviens des supplications de ta mère qui ne trouvait pas le courage d'agir. tu te souviens de ce soir-là, quand t'es rentrée du lycée et qu'il battait ta mère dans le salon, sous tes yeux. tu te souviens du vase que t'as pris dans la main. un vase japonais qui appartenait à ton père. puis tu te souviens du sang sur le sol, sur tes mains, tes vêtements, sur son visage défiguré, sur son corps inanimé. y a eu la police. y a eu le psy. puis y a eu ton anniversaire des 18 ans et ton départ pour le foyer. parce que tu supportais plus de voir ta mère, muette, prostrée dans le salon, une bouteille de gin à la main et les yeux vides, perdus dans le vague.
au foyer, y a tous ces hommes un peu perdus, un peu brisés par le poids d'la vie. certains sont grands et forts, et toi tu fais minuscule à côté d'eux, impuissante. t'as pas quitté ton appart pour revivre la violence des hommes. alors c'est toi qui attaque en premier. tu mords, tu blesses, par tes mots et par tes poings parfois. les gens te regardent souvent de travers parce qu'ils comprennent pas. ils savent pas d'où tu viens. c'que t'as vécu. c'que t'as fui.
puis y a heidi. quand tu la vois tu sais qu't'as fais le bon choix de partir, de tout plaquer, de tout laisser derrière toi. elle est belle heidi. elle a des cheveux blonds et un joli sourire. tu joues avec elle, avec ses sentiments. tu fais semblant d'être une meuf intéressante, d'avoir une histoire qui t'fait pas frémir la nuit. t'aimes bien pousser tes limites quand t'es avec heidi, ré-apprendre à vivre. t'aimes glisser tes doigts dans ses cheveux, frôler ses lèvres des tiennes. mais ça t'emmerde, parce que t'y penses de plus en plus souvent à ses lèvres. t'aimerais passer au niveau supérieur tout en restant maître du jeu, sauf que t'es plus certaine de vouloir jouer selon les règles.