Il y a la mère et le père, et il y a une petite masse, enroulée dans une serviette rose, dans les bras de la femme qui ne doit pas avoir plus de vingt ans. Et puis il y a le sourire sur le visage de l’homme, et il est si contagieux ce sourire que le visage fermé de la femme se transforme, et à son tour, elle a l’air heureuse, mais fatiguée aussi, mais elle fixe la petite chose dans ses bras, la dévorant du regard, comme si elle allait disparaître dans quelques secondes. Le père joue avec les petits doigts du nourrisson, qui le regarde avec de grands yeux bleus, la réplique exact du paternel, la curiosité dans son regard. Les deux parents n’ont d’yeux que pour le nouveau-né, et celui-ci ne regarde que son père, et un petit gazouillis sort de sa gorge, sortant les parents de leur transe. « On ne lui a toujours pas trouvé de nom. » Il a la voix grave, le père, et il parle doucement, parce que parler plus fort ne lui semble pas possible dans cet endroit si parfait. Et c’est vrai, ils n’ont pas de noms pour la petite dans leurs bras. Au début, ils pensaient qu’ils auraient un fils, c’est ce que les médecins ont dit, en tout cas. Mais ils se sont trompés, et c’est une fille, mais ils n’avaient pas prévus une telle chose. La gamine lui attrape une mèche de ses cheveux blonds, et il rit. « J’ai pensé au prénom de mon arrière-grand-mère. » C’est la mère qui a parlé, bien plus fort que son mari, parce qu’elle aime s’imposer, quand elle parle, elle parle fort, elle ne murmure pas, et sa fille tourne son regard vers elle, et penche la tête sur le côté, comme si elle attendait son prénom. La mère détourne la tête pour regarder l’homme, qui s’amuse toujours avec les doigts de sa fille, mais fixe du regard l’élu de son cœur. « Aria. » Elle ne dit rien de plus, et l’homme hoche la tête. Aria sonne bien. Aria Laski. Un prénom parfait pour une petite fille parfaite, et il ne peut pas être plus heureux que maintenant.
Aria elle a sept ans maintenant, elle a passé sept ans dans un petit monde parfait. Elle ne connait pas grand monde en dehors de sa famille, mais ses parents sont les meilleurs, et font tout pour qu’elle ne soit jamais seule, même lorsqu’ils sont au travail. Et puis au bout de sept ans, il y a quelque chose de différent chez eux. Maman ne peut plus regarder papa dans les yeux, et elle se dit que ça doit être en rapport avec la dispute qu’ils ont eu hier. Elle n’a pas voulu écouter, mais ils parlaient, ou criaient plutôt, si fort qu’elle n’a pas pu s’empêcher. Elle n’a pas compris non plus ce qu’il se passait, pas entièrement en tout cas, mais apparemment c’est en rapport avec l’homme qu’elle a vu l’autre jour en revenant de l’école, qui disait au revoir à sa maman et qui semblait très proche d’elle. Papa ne veut plus parler à maman maintenant, et il se renferme se lui-même, ne joue plus avec Aria comme avant, et il passe plus de temps dehors qu’à la maison, et plus de temps avec ses amis qui sentent mauvais qu’avec sa fille. Elle ne comprend pas trop Aria, mais après quelques mois, papa sent aussi mauvais que ses amis, et il semble tout le temps ailleurs. Elle n’aime plus passer du temps avec lui maintenant, il a changé, et Aria elle n’aime pas ça, le changement. Mais elle ne peut pas non plus passer du temps avec maman, parce qu’elle est toujours enfermé dans son bureau, à travailler. Maman elle a toujours travaillé, mais avant, il y avait papa pour lui tenir compagnie.
Elle a dix ans maintenant Aria. Elle aime bien l’école, même si elle subit les moqueries de ses camarades. Ils n’aiment pas sa couleur de cheveux, ils se moquent de ses cheveux, lui disent des choses vraiment méchantes, alors qu’elle, elle a toujours bien aimé ses cheveux, parce que ce sont les mêmes que ceux de sa mère. Et puis, ils sont différents des autres, elle aime bien être différente. Alors en milieu d’année elle achète une couleur, pour que ses cheveux deviennent bruns, comme beaucoup de filles à l’école, mais sa mère arrive en plein milieu de l’opération, et elle se fait punir pour avoir fait ça dans le dos de ses parents. Les autres enfants n’aiment pas non plus la façon qu’elle a de rêvasser tout le temps, d’écrire sans cesse, et ils ne veulent pas parler avec elle, et chuchotent sur son passage parce qu’apparemment elle est bizarre mais elle, elle se trouve pas bizarre du tout, alors elle n’écoute pas ce qu’ils disent. Son père est de moins en moins à la maison, sa mère travaille toujours autant, si ce n’est plus, et maintenant elle est toujours toute seule, mais elle a l’habitude maintenant, elle s’en fiche un peu.
Aria a onze ans maintenant, elle devient une grande comme elle aime le dire. Elle est chez le médecin, avec sa mère qui a réussi à libérer une heure dans sa journée. Elle n’a pas l’air bien. Pendant que le médecin lui parle avec un air grave, elle jette des petits regards vers Aria. Aria elle, elle n’a aucune idée de ce qu’il se passe. On lui fait passer des tests, on lui dit qu’elle a TDAH. Le Trouble du Déficit de l’Attention sans Hyperactivité. Apparemment, c’est pour ça qu’elle n’arrive pas à se concentrer sur quelques choses pendant un long moment, et qu’il faut qu’elle fasse quelque chose, jouer avec ses mains ou ses pieds par exemple, lorsqu’elle regarde un film, aussi passionnant qu’il puisse être. C’est pour ça que lorsqu’on lui parle longtemps, elle semble décrocher et ne plus entendre un seul mot, et qu’elle fait souvent des fautes d’intentions en cours. C’est pour ça qu’elle perd souvent des choses nécessaires dans sa vie quotidienne, et même parfois ses mots, et qu’elle a beaucoup de difficultés à organiser ses travaux. On lui dit qu’il n’y a pas de remède miracle, et que ça va évoluer en grandissant, en bien ou en pire, mais qu’on ne peut pas le savoir pour l’instant.
Elle vient de sortir du lycée maintenant Aria. Les choses n’ont pas changées durant toutes ses années au collège et au lycée. Son père ne vient à la maison que les soirs, complètement éméchés, ne se souvenant même plus de son nom ou de celui de sa fille. Elle l’emmène dans son lit tous les soirs, un lit qu’il ne partage plus avec sa femme depuis plus de dix ans, et Aria se demande pourquoi ils n’ont pas voulu divorcer. Sa mère a eu quelques aventures ici et là, mais ils sont tous repartis, parce qu’elle est trop absorbée par son travail. On se moque toujours d’elle, bien moins qu’avant quand même, mais il y a toujours les chuchotements sur son passage. Elle hait ses cheveux à présent. On lui a toujours dit qu’ils étaient laids, mais ce n’est pas à cause de ça qu’elle ne les aime plus, mais c’est parce qu’ils attirent trop l’attention, on les voit de les loin, et Aria elle veut juste se fondre dans la masse. Elle à son diplôme à la fin de l’année, mais elle ne sait toujours pas ce qu’elle veut faire. Du coup, elle se met à faire des petits boulots ici et là, elle vend du café un jour, elle fait la serveuse l’autre, et elle vend des jouets le lendemain. Elle pas vraiment de but, mais elle aime toujours écrire ses petites histoires dans son carnet, tout ce qu’elle voit et entend la journée. Elle fait ça pendant un an, et puis il y a enfin le foyer. Ce n’est pas le meilleur endroit du monde, elle en a conscience, mais c’est toujours mieux qu’à la maison.
alors moi c'est marie, un prénom pas du tout original bien sûr. j'ai bientôt 18 ans, en fin d'année en tout cas, donc j'suis encore un bébé.je passe ma vie entre mon lit, la cuisine et les cours à la fac, mais franchement c'est très sain comme vie. |