Aislinn, c'était la princesse, l'écossaise pur jus rousse comme on n'en fait plus, qui rendait tout McSorley digne de ce nom nostalgique de son pays. Aislinn, c'était la force, la douceur, les rêves interminables même quand elle était éveillée. Aislinn, c'était la nièce de deux oncles qui l'adoraient, la fille d'une famille aimante. Elle avait tout pour être heureuse, et elle l'était d'ailleurs. Immensément.
Aislinn et l'art ont toujours été indissociables. D'ailleurs elle avait ça dans le sang. Elle s'emparait des pinceaux de sa mère, chantait quand son père jouait de la guitare. Elle a appris la guitare et le piano d'ailleurs, mais son instrument, c'est la harpe. Elle a pu la garder sa harpe. C'est devenu un objet sacré au foyer.
Aislinn avait quatorze ans quand tout a volé en éclat. Un chauffard, le genre cadre de bureau bien comme il faut, lui a fauché sa mère qui traversait la rue. Au début, elle n'a pas compris, puis elle n'y a pas cru. Sa mère ne pouvait tout simplement pas disparaître comme ça. On dit souvent que les parents ne devraient pas avoir à enterrer leurs enfants, mais a-t-on pensé à la réciproque ? Le jour de l'enterrement, tous les McSorley étaient là, même ceux d'Outre-Manche. Pas un seul n'aurait fait l'affront à Ailene de porter du noir. Ailene avait trop aimé la couleur pour ça. Même Aislinn, malgré son coeur brisé, resplendissait de détresse artistique dans une robe bleu myosotis.
De ce jour, le père d'Aislinn, Duncan, n'a plus jamais touché à sa guitare. Il hante sans cesse l'atelier d'Ailene, à la recherche d'une ombre de celle qu'il a tant aimé. Et Aislinn, dans tout ça ? Oubliée. C'est à partir de ce moment qu'elle a commencé à s'effacer, à ne plus exister aux yeux de quiconque que pour de brefs instants. Et elle n'a jamais protesté.
Son premier amour vrai, elle l'a connu en Écosse, alors qu'elle avait dix-huit ans. Elle avait pioché dans l'immense richesse familiale pour aller passer huit mois loin de tous ceux qui semblaient l'oublier petit à petit, et elle y a trouvé la tendresse, une passion muette et sans caresse, un amour qui ne s'est jamais concrétisé. Elle est repartie le coeur lourd de regrets, mais avec la certitude, au moins, d'être la seule à souffrir. L'autre devait déjà l'avoir oubliée.
Son second amour vrai, elle l'a connu au Conservatoire de Berlin. Elle y faisait des études de chant, il y enseignait l'histoire du théâtre. Il s'appelait Samuel, un jeune professeur au regard infiniment tendre et aux mains dénuées de cal. L'écart d'âge n'existait pas entre eux, comblé par leur émulation intellectuelle mutuelle.
Elle l'a aimé pendant presque trois ans. Tout s'est arrêté brutalement, aussi brutalement qu'une bouteille vole en éclats. D'ailleurs, c'est une bouteille qui a volé en éclats, sur le visage d'Aislinn, lancée par un ivrogne auquel elle avait refusé sa compagnie. C'était sa seule sortie solitaire de l'année, pour décompresser avant les examens après lesquels elle aurait dû recevoir un diplôme.
Elle avait été une élève tellement prometteuse.
Tout a volé en éclats. Elle se souvient de la douleur atroce, du goût du sang dans sa bouche, de la sensation de ne rien y voir. Ils ont pu sauver son oeil. De justesse. Mais son visage, lui, il ne serait plus jamais pareil. Toute la partie droite est déchirée, couturée de cicatrices plus ou moins longues, larges, irrégulières. Une beauté à jamais détruire aux yeux d'Aislinn.
Samuel n'a su que trop tard. Lorsqu'il a appris pour l'agression, Aislinn avait déjà quitté la ville depuis trois jours, fuyant tout ce qui lui offrait du bonheur depuis presque trois ans. Elle est retournée auprès de son père. Son père l'a mise dans un taxi qui l'a conduite dans un foyer. Et depuis six mois, sans trop savoir ce qu'elle fait là, au milieu de tous ces gens bien plus brisés qu'elle, elle s'y reconstruit, lentement. Le plus rude est de réapprendre à s'aimer.
Bon, bhen moi déjà j'aime pas trop parler de moi comme ça. Irl, on m'appelle souvent Zach, mais c'est pas comme ça que je m'appelle. Je déteste mon prénom, alors Zach c'est bien. Je serai sans doute pas là tous les soirs parce que j'ai des soucis de santé, mais je ferai au mieux. J'aime la musique, la chaleur, l'écriture et jouer à Equideow. |