VIOLENCE DORT AU BOUT DES DOIGTS // KLAUDI

Saturday ça te dit ? Mauvais garçon parasite, volume déréglé

T'as jamais été très enclin à l'honnêteté.
Quand on a été élevé dans les foyers et qu'on a la rue comme meilleure amie, on apprend vite que l'argent, ça se vole plus que ça ne se gagne. Alors tu fais tout pour essayer de survivre. Parce que t'as toujours un toit au dessus de ta tête, de la bouffe quand tu daignes te pointer à la cantine, mais le reste, tu l'as pas, t'as rien. Alors tu fais ton Oliver Twist, et aussi, parfois, ton Tyler Durden . Les combats, tu les gagnes jamais, parce que t'as pas le corps pour. Enfin, parfois tu réussis à être rapide, agile, et l'autre ne voit pas le coup venir. Le principal c'est que ça t'amuse. Ça teste tes limites, aussi, alors t'abandonnes pas.
Mais quand un type plus fort que toi s'impose et te knock-out, qu'est-ce que tu peux faire ? Tu te souviens de ce gars, un black qui semblait comme une montagne en face de toi. En trois coups, t'étais à terre, les poings-titan qui ont eu raison de toi. T'as passé le cash avec la mine déconfite et le début d'un bleu sur la pommette, avant de faufiler ta main dans sa poche arrière quelques minutes plus tard.
T'allais quand même pas lui donner tes billets durement gagnés comme ça.
Et puis t'es parti, petite ombre de la nuit.

Pourquoi tu t'en rappelles soudainement, comme ça, de sa gueule à lui spécialement, alors que t'as affronté tellement d'autres types, semblables à lui ?
Parce qu'il est juste en face de toi..
et qu'il semble t'avoir reconnu.
La colère se lit sur ses traits impressionnants, pourtant doux, quelque part. Il est mignon, tu te dis, mais tu te dis aussi que bientôt t'auras même plus de crâne pour réfléchir à tout ça s'il finit éclaté sur la chaussée. Alors tu continues ton tour, sortant une carte de ta manche, une jeune fille te souriant juste en face. Tu l'ignores, un passant parmi d'autres.
Merde.

Il y a une petite foule, attroupée là, devant un type. Encore un soi-disant magicien, une bête de foire qu’on regarde avec curiosité et qu’on remercie avec des miettes de pain. J’imagine que c’est ça, les arts de rue. Une reconnaissance injuste ou peut-être déméritée, insuffisante.
Moi, bêtement, comme les autres, je suis le mouvement de foule. Je regarde aussi.
Le sourire un peu niais qui flottait sur mes lèvres va rapidement faner en un rictus sévère et empreint de colère.
Ce garçon, ce magicien.
Je l’ai déjà vu, j’en suis certain.
Je crois qu’on s’est tous les deux reconnus, il aura suffit de nos deux paires de pupilles un instant coincées chez l’autre. Juste un instant, même pas une seconde, pour faire gronder le volcan et lui faire vomir sa lave épaisse et chaude.
Magicien, magicien de pacotille, de rien.
Voleur, oui.
Voleur.
On s’est déjà battus, nous deux. Un combat soi-disant équitable, avec du pognon à la clef. Il m’aura fallu quelques coups, même pas bien placés, pour le mettre à terre. Seulement, mes poings de géant contre ses faibles paluches, le combat était déjà gagné d’avance. Puis, bizarrement, mon pognon avait disparu en même temps que lui.
Moi, je n’oublie pas la gueule des crevards.
Bizarrement, je suis rancunier, aussi.
La bonne mémoire et la difficulté à pardonner donnent donc des éruptions volcaniques. C’est presque mathématique.
La lave se répand alors de ma bouche entrouverte, et ce n’est qu’un souffle chaud et âcre. Mais je pousse tout le monde, les passants. Et tant pis si on me regarde bizarrement, tant pis si on s’esclaffe. Je deviens aveuglé, bête de bât lobotomisée.
Il ne me faut pas beaucoup de temps pour choper son col, planter la foudre de mes yeux dans les siens, presque coller mon nez sur son épiderme.
- T’as pas l’impression que tu me dois quelque chose ?
Je chuchote.
Mes poings fermés sur son vêtement le soulèvent un peu. Il n’a pas pris un gramme depuis la dernière fois.
- Je ne pense pas que tu te rendras service en mentant.
J’achève de dire, le souffle lent mais fort et les orages loin de dépérir au fond de mes yeux.

Le tour ne s'éternise pas, et la carte tombe par terre.
Le roi de pique.
Et le mur de béton contre ton dos qui craque.
Une femme se met la main devant la bouche effarée. Une touriste, sûrement française ou italienne, t'en sais rien. Elle avait un sourire lumineux. Mais les yeux de la bête qui te soulève, ils ne cachent aucune lumière. La pointe de tes pieds effleure le trottoir, mais toi, tu restes calme. Tu essayes toujours de rester calme, sinon, tu cours à ta perte. Alors tu le regardes dans les yeux et tu t'empêches de sourire. Sauver les apparences, même s'il a compris.

« J'te connais ? »

c'est vrai, tu ne rends service à personne en mentant, surtout pas à toi. Mais le mensonge est gravé dans tes veines, toujours, et tu ne peux pas t'en débarrasser. Il te suit comme ton ombre. Tu te souviens encore des billets durement gagnés, de leur sensation contre ta paume. Perdus, regagnés, dépensés pour remplacer tes converse trouées. Le fric, tu l'as pas, tu l'as plus. Qu'est-ce que tu peu faire de plus ?
Alors, tu mens.
Tu mens, tout le temps.
Même si son souffle sur ton visage est un peu trop près, c'est comme si le coup avait déjà été porté.

Mon corps se gonfle comme la mer se gonflerait les jours de tempêtes, pleine de vent, agitée par le ciel, par la lune qui n’en ferait qu’à sa tête, là-haut. Je sens tous mes astres qui s’agitent, qui tremblent, qui grondent.
- J’te connais ?
Sa question est anodine, son ton léger. Son visage, lui, lutte pour garder son sang-froid, ça se voit. C’est un beau menteur, un beau parleur, une raclure qui se traine sur les trottoirs de la ville. Moi, ses mensonges, je vais les lui faire avaler. Les uns après les autres. Je vais le mettre à genoux, parce que c’est ce que les menteurs méritent, non ?
Une bonne punition.
Et comme mes mains sont d’ores et déjà occupées, c’est mon crâne qui vient s’abattre sur son visage et alors qu’il s’étourdit sous le choc, je redresse son corps et le réveille d’un coup de genou dans le ventre. S’il me vomit dessus, je le mettrais à terre une bonne fois pour toute en lui demandant de venir lécher sa gerbe.
Je le laisse glisser contre le mur.
Je me masse le crâne – il a la tête dure, c’est vrai.
Autour de nous, des murmures horrifiés, des mains baguées portées à la bouche, bouche qui fait un o, o comme dans étonné. Ça fait bien longtemps que je ne prête plus attention aux regards des autres, j’ai vu tellement et entendu tellement, apprécié, déprécié, regardé mais surtout été vu que leurs moues béates ne m’effleurent plus.
Je m’accroupis alors et mes poings serrés mais pour l’instant inutiles viennent se poser sur l’asphalte. J’ai l’air d’un singe, d’une bête et c’est vraiment comment je me sens : moins humain, plus animal.
- Tu te souviens, maintenant, c’est bon ?

ça dure encore moins longtemps que tu le pensais,
regard insouciant,
tonnerre grondant
et le coup,
puis l'autre.
Ta tête te fait souffrir, comme heurté en pleine bataille, bataille sans début ni fin, seulement règlement de comptes. tu ne trouves pas ça injuste. voler c'est mal, et tout ce qui va avec, mais tu t'es toujours foutu de la morale et t'as besoin de fric, alors t'as fait ce que t'avais à faire.
faible à présent, ton corps qui se laisse glisser contre le mur comme une poupée de son, la main sur le front, l'autre sur le ventre.
il cogne fort, le salaud.
une touriste affolée pianote sur son téléphone, tu lèves la main en sa direction, un petit sourire au creux des lèvres malgré la douleur.

"Je vais régler ça."

Même si tu ne gères rien, tu en donnes l'impression. tu veux surtout pas qu'elle appelle les flics, ils te retireraient tout ce que t'as, peut être même que tu finiras en taule, maintenant que t'es majeur, et c'est pas dans tes plans. tu te relèves, titubant. traumatisme crânien quand tu regardes dans ses yeux fous.

"Pas la peine de t'énerver, je vais te la donner ta thune.
le spectacle est fini, désolé. revenez demain!"

que tu lances à la foule ébahie, avant de marcher dans une ruelle à l'abri des regards. tu fouilles dans ta poche intérieure et t'en sors deux pauvres billets, la recette de la journée, que tu tends à la machine.

"C'est tout c'que j'ai, au cas où t'aurais pas remarqué, j'suis pas crésus."

» Jusqu'au bout de la nuit. - Elijah & Crash.