(i)
Bonnie, elle a un an, et elle est la plus jolie des poupons. Ses yeux marrons, chocolat, grands ouverts, émerveillés face à ce nouveau monde qui s’offre à elle, dévorant toutes les images se montrant à elle, hypnotisent déjà quiconque la regarde. Elle a de bonnes petites joues rosées, elle fait la fierté de ses parents, première fille après quatre tentatives infructueuses, après quatre garçons, devenus protecteurs de la petite nouvelle dans leur famille. Elle sourit tout le temps, à n’importe qui, et tous fondent devant son sourire si sincère, qui barre son visage encore si petit. Elle gazouille Bonnie, elle est parfaite Bonnie, et tous ceux qui la voit le disent à ses parents, et ils disent aussi qu’elle est destinée à faire de grande chose, et que plus tard, les prétendants se bousculeront à sa porte. Le père la voit devenir dirigeante d’une grande société, affirmant que sa petite fille va devenir une femme forte et indépendante, et la mère la voit devenir une grande artiste, promettant que ses petits doigts encore boudinés pourront faire des merveilles. Mais on ne lui demande pas, à Bonnie, ce que elle, elle veut faire plus tard. Elle a un avenir tout tracé devant elle.
(ii)
Bonnie, elle a déjà huit ans maintenant, et elle se dit être une grande fille maintenant. Mais elle a toujours besoin de maman lorsqu’elle a un cauchemar, de papa lorsqu’une araignée vient trop près d’elle. Elle a toujours besoin de Benji lorsque quelqu’un se moque d’elle, de Bellamy lorsque quelque chose est trop haut pour qu’elle l’attrape, de Bram lorsqu’elle tombe, et de Bart pour la protéger du tonnerre.
Bonnie, elle a déjà huit ans maintenant, mais elle n’a aucune envie de diriger une société, ou de devenir peintre. Non, Bonnie elle aime danser, elle danse tout le temps à la maison, en attendant impatiemment son prochain cours. On dit qu’elle est douée, que si elle continue comme ça, elle pourra peut-être se produire sur les plus grandes scènes. On dit que c’est naturel chez elle la danse, qu’elle une grâce qui manque à certaines, même après des années d’entraînements. Bonnie elle s’en fiche de devenir célèbre, elle veut juste danser, danser pour elle, et pour ce garçon qui vient souvent, sans qu’elle sache pourquoi, mais il a l’air triste la plupart du temps, alors elle danse pour lui, en espérant que ça le réconforte. Clyde il s’appelle, et il est plus vieux, mais il n'a pas l'air de détester sa compagnie, alors elle ne s'éloigne pas. Elle l’aime bien, et quand elle le dit à sa mère, elle rigole et lui dit qu’une Bonnie sans son Clyde, ça n’existe pas.
(iii)
Elle a neuf déjà, et rien ne sera jamais plus comme avant. Il y a ce fameux jour où elle a ressenti cette chaleur étouffante, cette sensation d’être prise au piège, comme un animal dans une cage, et tout ce qu’elle peut voir c’est des flammes autour d’elle, qui l’empêche de bouger, qui l’étouffe. Et les cris, des cris aigues et graves, mêlé ensemble, lui hurlant, à elle et à ses frères, de s’enfuir maintenant. C’est le père qui rend l’âme le premier, quelques minutes après que l’incendie est commencé, et la mère préfère finir ses jours à ses côtés que de s’enfuir avec ses enfants. C’est Bram qui tombe ensuite, et ne bouge plus, et Bonnie sait qu’il ne sera plus jamais là pour l’aider quand elle-même tombera, mais elle s’efforce de continuer d’avancer. Bart disparait aussi soudainement, après avoir enfoncé une porte avec son épaule, laissant Bellamy et Bonnie s’échapper, leur laissant plus de temps. Bonnie est dehors finalement, saine et sauve, mais Bellamy ne l’a pas suivie, il s’est effondré quelques mètres plus loin, tout prêt de la porte d’entrée, tout prêt de sa liberté. On dit que c’est un incendie volontaire, mais personne ne sait qui a commencé le feu. On dit que Bonnie s’est fait mal à la tête en tombant en essayant de s’enfuir, et qu’il y a des choses dont elle ne se rappellera plus jamais, et tout ce que Bonnie sait c’est qu’elle ne reverra plus jamais sa famille, et sans sa famille, elle ne verra plus jamais ce garçon qui venait souvent non plus. Elle n’arrive plus à se souvenir de son nom.
(iv)
Dix ans déjà, et Bonnie sort enfin de l’hôpital. On lui a dit qu’elle avait de graves blessures en arrivant, et c’est à cause de l’adrénaline dans son corps qu’elle ne s’en est pas rendue compte tout de suite. Elle a passé de longues semaines sur ce lit d’hôpital, toute seule, parce que maintenant, elle n’a plus de famille, et elle est seule au monde, et personne ne vient lui rendre visite. Le coup de grâce, c’est quand on lui dit que des nerfs dans ses jambes ont été durement endommagés durant l’incendie, et que ça affecte ses mouvements, mais elle a dix ans, et elle ne comprend pas tout Bonnie. Il y a un médecin qui lui annonce qu’elle ne pourra plus jamais danser comme avant, et que tout est à cause du feu, et elle prend la décision la plus dure de sa vie. Elle ne peut plus danser comme avant, et elle ne veut pas s’infliger la torture d’essayer de danser aussi bien qu’elle le peut. Bonnie décide d’arrêter la dance, elle ne veut plus jamais danser, ni entendre parler de ses rêves brisés bien trop tôt. On l’envoie dans un foyer pour des enfants qui sont trop vieux pour que quiconque veuillent les adopter, et c’est sa nouvelle maison maintenant. Bizarrement, elle reprend goût à la vie, aide les autres enfants lorsqu’ils ont des problèmes, les réconfortent, et elle aime ça, elle prend goût à aider les autres. Elle ne se sent plus si seule finalement, et elle recommence à être heureuse, petit à petit. Mais il y a toujours ce visage qui la hante, ce visage de jeune garçon, qui revient souvent dans ses rêves, sans qu'elle sache pourquoi.
(v)
Elle a dix-neuf ans maintenant Bonnie, et c’est une vraie jeune femme maintenant. A dix-huit ans, elle est partie du foyer pour jeunes enfants, pour atterrir dans un autre foyer, pour des personnes plus vieilles, mais elle a l’habitude des foyers, elle aime les foyers, c’est sa maison. Elle décroche un travail en tant que serveuse dans un restaurant tout près du foyer, ce n’est pas le job rêvé. Elle continue de prodiguer ses conseils Bonnie, même aux plus vieux. Elle est toujours triste, mais elle se reconstruit peu à peu. Elle reste hantée par les fantômes du passé, le visage de ses proches disparus, des amis d'enfance oubliés, et le visage de ce garçon dont elle ne se rappelle pas le nom.
c'est de sa faute si j'suis là avec un nouveau compte. |