Cher journal,
Je t'ai acheté il y a plus d'un an et c'est aujourd'hui que je commence à écrire. Il faut croire que je n'ai pas le temps. En fait, c'est du n'importe quoi, parce que j'ai trop de temps pour moi, malgré mon travail. Je ne sais même pas pourquoi je t'ai acheté. Probablement parce que tu faisais pitié, sur cette étagère poussiéreuse, attendant patiemment qu'on vienne te chercher et qu'on te donne un peu d'attention. C'est vrai, j'ai eu pitié de toi, mais je ne veux surtout pas que tu aies pitié de moi, parce que je ne le mérite pas. Oui, j'ai eu une vie catastrophique. Une mère droguée et un père alcoolique. La cocaïne, l'héroïne, la marijuana, la bière, la vodka et le rhum passaient bien avant moi, mais je ne vais pas me plaindre. J'avais des vêtements et de la nourriture. Du moins, au moins deux fois par jour. La vérité était que je devais moi-même faire à manger. Imagine une petite fille de six ans qui se fait des saucisses et du riz pour dîner. Ce n'est pas la grande classe, je l'accorde. J'étais quand même heureuse. J'avais une maison dans laquelle dormir et dans laquelle jouer avec mes jouets complètement brisés et usés. Je rêvais d'un monde meilleur, un monde exaltant dans lequel je suis réellement heureuse et épanouie. J'ai espéré de nombreuses années, mais, quand j'ai eu dix-neuf ans, j'avais arrêté d'espérer depuis très longtemps. Je ne me faisais plus d'illusions. Je n'avais pas une belle famille, les amis que j'avais étaient à l'université et ils allaient avoir un très bel avenir. Et moi dans tout ça? Je n'avais rien d'autre qu'un boulot dans un restaurant totalement paumé avec des clients paumés. Ma vie n'était pas intéressante et je me demandais pourquoi je vivais ainsi. À mes vingt ans, j'en ai eu marre de la vie que j'avais. J'ai fait mes valises, j'ai pris ma vieille guitare et je suis partie de la maison. Mes parents étaient soient trop gelés sous la drogue ou trop ivres pour se rendre compte que leur fille était partie. Je me suis retrouvée dans ce foyer. Un foyer qui me semblait être la meilleure solution pour être heureuse et être avec des jeunes qui me ressemblaient et avec qui je pouvais être moi-même.
Je m'appelle Sammy Caius, j'ai vingt ans et je suis complètement paumée.
C'est tout pour moi. Merci, petit journal, de m'avoir écouté, même si je suis convaincue que tu t'en fiches totalement.