04h04. insomnie.

et les ombres du dehors donnent aux couloirs d'habitude rassurants du foyer des airs d'enfer.

les murs sont trop fins pour séparer des gens pas bien. y'a les pleurs du voisin d'gauche et les cris de celui de droite. et y'a tigone au milieu qui cherche le calme, le sommeil. pas moyen d'mettre la main dessus.
un index contre l'crépis irrégulier de ce mur rose -aussi pâle que l'teint des pensionnaires- comme pour ne pas sombrer dans les ténèbres de cette nuit trop noire, trop étouffante.
des airs de déjà vu.
les escaliers aux marches grinçantes qui n'font même plus sursauter et assis sur certaines, des pensionnaires qu'personne n'a jamais vu bouger. elle a pas la science infuse, rien d'plus à leur offrir qu'un sourire colgate.

la porte lourde du jardin à pousser, comme un tout dernier obstacle avant d'pouvoir enfin respirer. elle est pas différente des autres : elle étouffe la nuit; antigone.

y'a du monde, d'la musique; son sourire qui grandi.
et dans l'fond, contre un arbre au tronc épais y'a une ombre, seule.
antigone elle peut pas s'empêcher d'avancer, d'approcher. jag.
elle sourit et reste un moment là à l'regarder.

tu cherches quelque chose de spécial là haut - dans l'ciel ?

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c'est la nuit, il préfère la nuit.
surtout quand il taffe pas, quand il peut traîner au foyer, gamin de la rue qui a jamais vraiment compris à quoi ça servait une baraque avec un jardin.
il l'aime bien, le jardin. y a de l'herbe, y a des gens, y a du bruit, même la nuit. même quand ils sont sensés tous dormir et se faire oublier. ils en font rien, ils discutent, ils s'éclatent comme si c'était le jour. ça le fait rire. un petit rire, le rire moqueur, le rire pas convaincu. mais c'est un rire, alors c'est mieux que rien.
il se pose contre un arbre, jag, les jambes tendus devant lui, ses dreads en oreillers contre le tronc. il sort le paquet de clopes de sa poche et il les portes à ses lèvres. c'est normal, c'est un geste tellement habituel qu'il a même pas besoin de regarder pour savoir ce qu'il fait, comment faut le faire. la nicotine sur le bout des doigts, le bâton du cancer entre les dents alors qu'il trouve son briquet, allume et tire une bouffée. ça fait du bien.
il profite du moment, le temps d'une cigarette.
la fumée s'envole vers le ciel, vers les arbres.
c'est un loup solitaire, il aime le calme, il aime les bruits en contrebas alors qu'il reste dans son coin. il observe la vie sans y prendre part, il se laisse border par le froid, par la mélancolie, par les espoirs déchus d'une vie de gamin normal. c'est pas pour lui. lui c'est le bizarre, le sauvage, le connard.
il écrase la fin de sa clope et reste comme ça. il ferme à moitié les yeux. il est capable de s'endormir là. si il avait pas des doutes sur le fait de se réveiller habillé le lendemain.
on sait jamais.
il baille vaguement quand la voix le distrait.
j'en sais rien, qu'il répond, la langue pâteuse de pas avoir parler de la journée. je pense pas qu'il y aie autre chose qu'un pigeon prêt à mitrailler.
c'est pas un rêveur jag, c'est pas un gars qui reste allongé à regarder les étoiles. c'est le gars qui se branle sous les pins en se demandant si ça semence va donner une plante.
c'pas le gentil gars aux yeux pâles qui rêvent d'aventures.
c'est le salopard aux yeux ténébreux qui les voit même pas, les étoiles.
il baisse les yeux sur la brunette, la gamine aux tâches de rousseur. il se souvient même plus de son nom.
t'y as trouvé un truc spécial toi ?
elle, elle a le visage d'une rêveuse. elle l'est peut-être. et peut-être bien qu'elle a chercher les étoiles dans toute la ville.
pour trouver le gamin de la nuit noire.

lorsqu'il ouvre ses yeux à demi - clos, elle tremble la gamine.
il a d'ces yeux qui en disent long, qui en disent plus que sa bouche; sûrement.
elle sourit, encore.
t'es pas un optimiste toi..
sans vraiment lui demander la permission elle s'assoit près de lui et fixe le ciel.

un tas de choses même ! tu sais, les étoiles elles servent à beaucoup de chose.. tu as déjà lu l'odyssée ? c'est un gros livre mais il est superbe.. enfin bref, dedans ils se servent des étoiles pour se repérer en mer ! c'est cool non ?
elle le regarde ce sourire toujours cousu aux lèvres.
et attend une réponse avant d'comprendre qu'elle n'en aura sûrement pas.
t'es pas un bavard non plus..tu sais, il paraît que ceux en disent le moins sont ceux qui ont le plus à dire.. du moins c'est que son père disant..
elle se ferme un instant antigone puis elle secoue la tête avant de reposer ses yeux sur lui,
l'homme loup.

aller jag laisse toi faire,
laisse la t'emmener dans l'océan d'ulyss tant que les étoiles sont là,
tu crains rien.
puis t'as quoi à perdre ?
hein jag ?
qu'est-ce que tu as pas encore perdu au juste ?

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il la regarde, elle bouge pas.
puis elle s'assied à côté de lui. il lui dit pas de dégager. mais il se bouge pas pour elle, il se décale pas. elle a qu'à se trouver un creux.
ça l'arrête pas. il prend pas la peine de lui répondre. nan, c'pas un optimiste. c'est un écorché vif.
et elle parle.
elle parle.
elle parle.
elle dit trois phrases, il oublie déjà ce à quoi ressemblait le silence. elle a pas une voix désagréable. ça le dérange pas. mais il écoute pas tout les mots. elle lui parle d'étoiles, de mer, de livre. il hausse un sourcil sceptique mais commente pas. il avait dit qu'elle avait l'air d'une rêveuse. le genre de gamine qui part suivre les étoiles par-delà l'océan.
il entend la phrase suivante.
nan, c'est pas un bavard. il a jamais été bon pour la parlote. il hausse les épaules. j'en sais rien. elle le regarde, ses grands yeux sur lui. il a pas besoin de les voir pour le savoir. il le sent.
en général, j'ai juste rien à dire. j'suis pas le genre à fantasmer sur les étoiles. ni celui qui lit des livres ou va voir la mer.
il est le gars qui baisent les mères.
il hausse les épaules. toi t'es bavarde.
il la regarde, du coin de l'oeil. et t'as l'air d'avoir plein de choses à dire. il pose pas vraiment de questions. elle parle, là. elle a l'air d'avoir envie de parler. c'est plus de l'observation. de l'analyse. nocturne. pour le vague silence de la nuit qui les écoute.